Les sages-femmes pionnières. Un héritage à partager.

Nous sommes deux doulas de deux générations différentes pour qui la transmission et le soutien intergénérationnel sont importants. Nos mots et nos regards se sont croisés au fil des discussions avec ces femmes inspirantes, celles qui ont ouvert la voie de la légalisation d’une pratique sage-femme au Québec, il y a plus de 40 ans. 
Lorsque l’on se replonge dans l’histoire du Québec, nous constatons que les sages-femmes, qui étaient présentes au début de la colonie ont été progressivement évincées au profit du développement d’une médecine obstétricale masculine. 

Cette prise de pouvoir sur le corps des femmes et sur la pratique des sages-femmes dès le 19e siècle éclaire notre réalité actuelle. La pensée médicale interventionniste devient progressivement la norme.

Mais les sages-femmes n’ont jamais totalement disparu: l’Histoire nous dévoile leur ténacité et leur engagement en continuant d’accompagner les familles et de soutenir l’autonomie des femmes malgré l’interdiction de pratiquer. 

Nous sommes parties à la rencontre des pionnières de notre époque, qui travaillaient en marge du système médical dans les années 1970-80 et qui sont à l’origine de la légalisation de la pratique sage-femme en 1999 et de la renaissance d’un diplôme universitaire de sage-femme au Québec à partir des années 2000.

Une fois les enregistrements terminés, nous avons pris la mesure de l’impact de ces entrevues sur nous-mêmes, dans nos vies et nos pratiques respectives autour de l’accompagnement de la naissance. 

1.Comment est né ce podcast?

Isabelle 

Je fais partie des doulas plus anciennes puisque j’ai débuté ma pratique au début des années 2000. Lorsque j’ai co-fondé le Centre Pleine Lune, j’ai eu la chance d’être accompagnée par deux pionnières. Elles m’ont soutenue dans cette création au service des femmes et des familles de ma région et je réalise à postériori l’immense cadeau que j’ai reçu. Elles ont alors nourri ma confiance et mon engagement, elles m’ont accompagnée sous la tente rouge, elles m’ont transmis leurs savoirs et expériences, ce qui m’a permis de planter des racines solides pour débuter ce périple avec Pleine Lune.
Vingt ans plus tard, en 2023, lors d’un voyage à la rencontre des femmes autochtones sur la côte nord avec Isabelle Brabant, sage-femme pionnière dont le livre a circulé autant au Québec que dans toute la francophonie, je suis fascinée par mes discussions avec elle. Nous avons du temps et elle me raconte en détail son histoire et les débuts de son engagement avec ses collègues. Je suis bouleversée par ce que j’entends.
Elle me précise qu’au début, elles sont un petit groupe de femmes qui accompagnent celles qui refusent la médicalisation et elles ne se nomment pas sages-femmes …mais elles vont le devenir. Elles étudient sans relâche, elles rêvent une pratique adaptée à la réalité du Québec. Elles la créent, s’inspirant de ce qui se fait ailleurs. Surtout, elles choisissent d’écouter les femmes d’ici et leurs besoins spécifiques. Le fil se tisse au cours des années et une pratique sage-femme émerge, unique au monde, en marge du système de santé. 

Elle me raconte leur désir d’être solides, bien instruites. Elle me partage leurs défis, leurs enjeux, leur ténacité mais aussi leurs désaccords, leurs peurs, leurs différences. 

Cette histoire est si forte que j’ai envie que tout le monde l’entende, qu’elle ne soit pas réservée aux seules sages-femmes. 
Ce pan de l’histoire, porté par des femmes n’est pas connu.

C’est à ce moment que l’idée du podcast a germé et s’est enracinée en moi. 

Je réalisais que ces femmes avaient vraiment un parcours particulier, puissant et qu’elles avaient traversé des épreuves, franchi des montagnes afin de rester au service des femmes de leur communauté, en marge d’un système médical qui ne leur correspondait pas.
Elles s’étaient engagées dans une voie parallèle, pour celles qui refusaient la médicalisation de la naissance, qui voulaient garder leur autonomie et leur liberté de faire des choix.
Je ressentais profondément l’importance de dévoiler ce pan de l’histoire des femmes du Québec et d’en garder une mémoire vive.
Chaque voix a une couleur, un vécu, un engagement particulier. Je pressentais que leur donner la parole serait beaucoup plus riche qu’un simple écrit. 

Il me restait à trouver la personne qui allait m’aider à créer ce podcast…Annick a dit oui sans hésitation.

Annick

J’ai dit oui tout de suite!!!! Comment pouvait-il en être autrement?
L’idée de rencontrer toutes ces femmes, d’entendre leurs récits, le privilège d’immortaliser leurs passages!
Il n’y avait rien dans ce projet qui ne pouvait me faire douter un seul instant! 

2. Pourquoi garder cette mémoire vive?

Isabelle

En découvrant ce pan de l’histoire du Québec, je me  réappropriais une partie de l’histoire des femmes et ma propre quête trouvait une résonance dans leurs mots.

Mon désir, il y a 30 ans, d’être respectée dans mes valeurs, dans mon intégrité physique, dans mon choix de vivre la naissance de mes enfants par moi-même sans intervention inutile se reliait à celui de ces femmes qui avaient aussi fait ces choix tout au long des siècles passés.

Et l’Histoire les avait invisibilisées. 

Seuls les progrès de la médecine obstétricale étaient mis en avant.

Ce podcast devenait un devoir de mémoire pour nous les femmes, nos enfants et notre société.

Ces femmes se sont tenues debout, elles ont traversé des tempêtes et sont un modèle de résilience et de persévérance. 

Elles doivent faire partie de la mémoire collective afin que de nombreuses personnes entendent leurs voix distinctes mais unies dans un projet commun, pour le respect de l’autonomie, de l’autorité personnelle et du libre choix des femmes et des familles dans la période périnatale. 

Annick

J’avais entendu parler de cet héritage… Mais t’sais, les qu’en dira-t-on? Alors aller à la source, immortaliser le “d’où nous venons”, l’habiter, le chérir comme elles l’ont fait afin de faire résonner leur voix à l’infini c’était primordial pour moi! 
D’autant plus que le temps nous rattrape! 

Ce qu’elles ont traversé n’est pas juste inspirant, c’est aussi une leçon. Cette route, ces enjeux… font encore partie de la société actuelle. Apprendre de leur expérience est incontournable. Parce qu’au final, ce sont les familles qui en font les frais! 


3. Qu’est-ce que ce podcast vous a apporté personnellement? 

Isabelle 

J’ai réalisé, à l’écoute des pionnières, que lorsque je les entendais me raconter leur parcours, leurs motivations, leurs expériences et leurs prises de conscience, j’en bénéficiais personnellement. 
C’est comme être autour du feu avec les grands-mères qui racontent leur vie en toute simplicité. Et nous réalisons, à leur écoute, que ces expériences vécues et les savoirs transmis s’intègrent en nous et éclairent nos vies, nourrissent nos racines, fertilisent notre terreau intérieur.
Le sens de ma quête était enrichi par leurs mots. Des mots pleins d’expérience.
À l’écoute des pionnières, je sais d’où je viens. Je suis concrètement reliée aux femmes qui m’ont précédées.

Annick

Ce qu’il y a de magique, c’est que ce qu’elles nous transmettent est intemporel! Et que ça nous relie toutes! Nous sommes unies par ces passages qu’on le veuille ou non. Et dans cette période frileuse ou les rituels, les convictions et la foi ne sont qu’un flou de l’histoire, j’ai trouvé porteur ce voyage dans le temps dans un Québec que je n’ai jamais habité. Ceci explique cela et c’est exactement ce dont il est question dans ces entrevues.

J’ai aussi reçu une nouvelle fougue! Un renouveau de mon souffle pour maintenir vivant mon engagement auprès de nous toutes à être au service des familles, à protéger ces espaces et à porter l’histoire à mon tour! 

4. Les mots marquants des pionnières 

Isabelle

Nous avons demandé aux sages femmes quel avait été leur fil d’Ariane tout au long de leur pratique et elles ont toutes réfléchi avec une intention de justesse dans leur partage.
En voici quelques-uns:

«Mon fil d’Ariane, c’est chaque goutte de puissance, de confiance qui a réveillé l’espace d’y croire, de se transformer.»

-Martine Lemay

« Mon fil d’Ariane a été la reconnaissance de la normalité de la grossesse et de l’accouchement »

-Lucie Hamelin

« Mon fil d’Ariane a été l’Amour »

-Jennie Stonier

Annick

Quelques phrases inspirantes des pionnières:

Le féminisme ce n’est pas une guerre, c’est une quête! 
On n’a pas été contre, on a été ailleurs! 

-Céline Lemay

C’est quoi un accouchement normal en 2024?
La normalité semble changer tous les 5 ans…
Est-ce que l’on va se souvenir de ce qu’est réellement une naissance normale?
Les sage-femmes sont des gardiennes de la norme.

-Martine Lemay

 Le titre de sage femme, je ne l’ai pas pris, je l’ai reçu! 
Cessons de vouloir aider, soutenons! 

-Thérèse Legault

Les femmes savaient ce qu’elles faisaient.
Les femmes décidaient.
On a avancé vers la légalisation AVEC les femmes.

-Michèle Champagne

 On était des femmes qui se prenaient en main! 

-Hélène Cornelier

C’était comme si c’était des choses que mon corps avait déjà compris.

-Diane Boutin

La confiance ce n’est pas la certitude, c’est la vie…

-Jennie Stonnier

La doula semble la clé pour réparer la dégringolade de la pratique sage femme 

-Jeen Kirwen

Des sacrifices de convictions… 

-Christiane Léonard

La naissance c’est une expérience humaine. La technologie appliquée de façon routinière nuit.

-Raymonde Gagnon

Il y a des positions qui favorisent, des bassins plus avantageux que d’autres… Mais il y a des peines, des croyances qui empêchent les choses de se faire… Ce sont les femmes qui nous ont enseigné ça.

-Isabelle Brabant

Le temps est important pour acquérir une réelle expérience.

-Danielle Mercier  

Nous avons besoin d’entendre et de réentendre des mots portés par une expérience vécue, ancrée, intégrée.
J’aime laisser ces mots se déposer en moi et devenir un terreau fertile.


Un article écrit par:

Isabelle Challut, co-fondatrice du Centre Pleine Lune, autrice et formatrice. Son fil d’Ariane depuis 25 ans : accompagner et transmettre autour de la naissance, de la mourance et des passages de vie. Elle s’est appliquée à chercher la justesse dans ses transmissions en trouvant les mots qui relient au-delà des croyances. Elle a tissé à partir de ses apprentissages et expériences et déroule inlassablement le fil de cette toile auprès des plus jeunes afin de relier les générations par le savoir. 

Annick Bourbonnais, fondatrice de Hypnodoula et créatrice de L’univers des Cadabras. Conférencière, formatrice et communicatrice passionnée, elle met sa voix et ses mots au service des femmes et des familles pour éclairer les grands passages de la vie. À travers ses projets, ses conférences et ses accompagnements, elle crée des espaces où puissance et vulnérabilité se rencontrent, où l’on peut explorer la naissance, la parentalité et les transformations intérieures avec authenticité et confiance. Son fil d’Ariane : transmettre, raconter, ouvrir des conversations essentielles pour que chacun puisse traverser l’inattendu de la vie avec conscience et sérénité.

En collaboration avec le blog Doulazine. Un espace en co-création pour des transmissions par les doulas pour les familles qui tissent le fil entre les éditions du Doulazine Magazine.

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Le schéma prénatal et le massage métamorphique.